Nous vivons à la frontière entre deux temps. Entre la fantaisie du progrès matériel illimité et la certitude des limites physiques de la planète. La croissance économique toujours profondément souhaitée se retourne maintenant contre les limites environnementales et sociales qui la font manifestement insoutenable. L’effondrement de notre civilisation nous guette. Nous pouvons sentir sa présence.De la main de la crise énergétique et du changement climatique, dans les trente ou quarante années à venir, notre civilisation industrielle et de consommation, devra faire face, non seulement aux croissantes et douloureuses inégalités sociales ou à l’évidente détérioration écologique, mais aussi à la menace de saper, pour toujours, les conditions nécessaires pour la reproduction de la vie.

Ni la technologie, ni les patentes, ni les renouvelables, ni l’absurde quatrième révolution industrielle viendront à notre secours avec ses prétendues soutenabilités. Ce ne sont que des demi-vérités, des mensonges effrontés ou des mythes irraisonnables derrière lesquels se cacher pour continuer à faire encore la même chose. N’importe quoi sauf mettre en question le mantra et l’objectif de la croissance économique, dont dépend, selon ce que nous assurent gouvernements et multinationales, le bien-être de nos sociétés.

Cependant, le PIB, son fétiche, croît et croît chaque trimestre malgré le chômage, malgré le prix du logement, malgré la destruction de l’économie locale, malgré la précarité, malgré l’inégalité, malgré l’exclusion … Et sur le compte de la privatisation et de la marchandisation du secteur public et du commun, de la dégradation des écosystèmes et de l’épuisement des ressources naturelles. L’évidence est claire: le modèle économique – financier capitaliste survit seulement pour le bénéfice de quelques uns sur la base des injustices et les violences imposées sur les majorités sociales et la nature à travers une économie extractiviste, de classes, patriarcale et coloniale qui se soutient sous une démocratie de basse intensité et au moyen de la corruption, la répression, les conflits armés, les déplacements forcés, les formes de production esclaves ou l’accaparement de terres, d’eau et d’autres ressources. Et, surtout, grâce à la peur.

Un modèle, finalement génocide et eco-suicidaire qui enfonce ses racines dans l’hégémonie d’une série de valeurs culturelles comme le progrès, l’individualisme et la domination ; et dans des institutions comme le marché et la démocratie libérale – représentative, où se définissent, la structure et l’agenda économique, politique et social au bénéfice des oligarchies qui les occupent.

Face à l’augmentation de pouvoir de ces élites qui, devant les limites environnementales, se manifestent avec un caractère eco-fasciste, cette crise de civilisation nous donne aussi l’opportunité de transiter vers de nouvelles formes d’organisation basées sur des valeurs alternatives qui mettent au centre le développement d’une bonne vie pour toutes les personnes, en équilibre avec les limites écologiques de la planète et du bien commun. Une transition qui va se présenter comme décisive dans les décennies futures, au fur et à mesure que la production industrielle, le commerce global et les états nationaux, dont nous dépendons, se détériorent jusqu’à l’épuisement dans son impossible négation du collapsus.

Cependant, ce contexte non seulement suppose une opportunité, mais aussi un énorme défi pour ceux qui, comme nous, voulons soutenir la vie dans des conditions de dignité. Un défi qui nécessite un profond changement culturel, social, politique et économique, basé sur le soin de la nature et des personnes, le respect pour la diversité, le renforcement du commun et la démocratie radicale, et qui cherche à améliorer la résilience de nos populations et territoires, en renforçant notre capacité de surmonter les adversités et les futurs impacts à travers:

a) la réduction de la complexité et la vitesse de nos modes de vie, nos formes d’habiter et de nous transporter, en réduisant la consommation somptueuse et celle dépendante des énergies fossiles,

b) un choix pour les technologies adéquates permettant de nous adapter aux nouveaux scénarios de pénuries et de changement climatique, avec une conjonction des connaissances actuelles et la récupération des savoirs traditionnels;

c) le changement radical des modes de production, de dessin des zones d’habitats et l’organisation territoriale, pour qu’ils soient beaucoup plus économes et efficients;

d) la distribution équitable des ressources, de la terre et des travaux socialement nécessaires – en prenant particulièrement soin de la distribution juste entre hommes et femmes-;

e) la construction de sociétés conviviales et égalitaires dans la diversité, en reconnaissant et en stimulant toute la richesse d’êtres, pouvoirs et savoirs et surpassant les multiples relations de domination sur la nature et sur les personnes (de classe, genre, orientation sexuelle, ethnie, nationalité, religion); et

f) la mise en place de politiques centrées sur la satisfaction des besoins des personnes, découplées de la croissance économique, et sur la récupération des écosystèmes abîmés ou détruits par celle-ci. Des politiques qui s’occupent de l’urgence sociale présente, et à la fois permettent de donner des pas dans la reconstruction des résiliences locales face aux étapes suivantes du collapsus.

Et tout cela, sans perdre de vue la nécessité de renforcer les réseaux d’appui mutuel et de solidarité entre les peuples, qui nous éloignent des options militaristes, racistes et exclusives, en augmentant les possibilités d’une bonne vie pour n’importe quelle personne et population du globe. Un horizon de possibilités qui, sans doute, est aujourd’hui plus ouvert grâce à l’essor de la mobilisation sociale, du développement communautaire et de l’organisation politique mené, pendant les dernières années, par tant de personnes, collectifs, communautés et populations dans l’ensemble du monde.

Dans ce chemin vers un avenir commun qui soit désirable et soutenable, nous avons besoin d’une société civile forte, auto-organisée démocratiquement, capable de comprendre le moment de tournant historique que nous traversons ainsi que de joindre les volontés, les efforts, les pratiques et les stratégies. C’est pourquoi, nous faisons appel à l’ensemble de la citoyenneté pour:

1) rendre visible le processus de collapsus de notre civilisation industrielle;

2) délégitimer le maintien de la logique de la modernité capitaliste et de toute sa trame culturelle, économique et productive par son incompatibilité avec la soutenabilité de la vie;

3) légitimer un nouveau récit culturel entre les majorités sociales nous permettant de transiter vers des sociétés plus démocratiques, justes, équitables, solidaires, soutenables et diverses; et

4) rendre visible, renforcer et impulser dans nos campagnes, nos quartiers, nos villages et nos villes, toute une diversité de mobilisations, initiatives et politiques capables de se disputer de façon non violente, une bonne vie construisant les alternatives dont nous avons besoin pour obtenir une citoyenneté résiliente qui prend soin de la Terre et de ses gens.